
Dessiner une trajectoire d’adaptation pour les entreprises relève de l’intelligence collective
April 06, 2022
François Lanavère, Directeur commercial et du développement d’AXA Climate, donne sa définition de ces risques bien distincts des atteintes à l’environnement ou des catastrophes naturelles, et invite les courtiers à s’adjoindre les éclairages d’experts capables de tracer des stratégies à l’horizon 2030/2050.
Qu’est-ce que l’assurance climat versus les CAT NAT et les problématiques liées à l’environnement ?
Je vous répondrai en deux temps, d’abord sur la partie catastrophes naturelles, puis sur les atteintes à l’environnement.
En France, on a une définition des « catastrophes naturelles » qui fait référence au régime CATNAT créé en 1982 – réformé récemment – et on utilise stricto sensu la terminologie visée par le régime public. Huit périls sont dénommés – avec notamment les inondations, les cyclones d’une certaine intensité dans les TOM et la sécheresse. Sont clairement exclus les risques de tempêtes, neige et grêle. Notons qu’on parle pour ce régime de la sécheresse qui touche les bâtiments, pas les rendements agricoles.
Les risques liés aux activités agricoles rentrent en effet dans un autre dispositif – en cours de réforme quant à lui. Au niveau mondial, les réassureurs vont considérer des périls primaires (cyclones, tremblements de terre et tempêtes hivernales) et des périls secondaires (inondations, canicules, feux de forêts…). Cette distinction étant basée sur l’idée qu’un péril primaire génère très vite des pertes massives pour l’industrie de l’assurance. Les banquiers et les fonds d’investissement vont quant à eux considérer les risques chroniques et les risques sévères pour évaluer la résilience d’une entreprise face au changement climatique.
Mais quelle que soit la terminologie – qui n’est finalement pas le débat pour les assurés – les courtiers avec qui nous travaillons nous remontent les craintes de leurs clients quant aux périls climatiques au sens large. Les événements de type catastrophique bien sûr, mais aussi des situations dont les conséquences sont jugées critiques pour les entreprises. Et donc une recherche d’assurance climat plus large.
On l’ignore peut-être en France mais la baisse de la hauteur d’eau du Rhin en 2018 a coûté 1,9 milliard de pertes à l’industrie allemande en un seul trimestre, et sans un seul dommage !
En France, une canicule à répétitions peut avoir des conséquences sur un parc d’attractions, ou générer une consommation d’énergie dans certaines industries. L’absence de neige a un impact évident pour une typologie d’acteurs qui peut se tourner vers l’assurance paramétrique sans qu’il y ait une base de catastrophe naturelle pour déclencher les garanties du régime CATNAT.
Et les courtiers qui ont des concessions automobiles en portefeuille savent que la grêle est un vrai problème de placement. Chez AXA Climate, nous sommes par vocation sensibles à des signaux faibles que nos scientifiques scrutent sans se poser la question de leur assurabilité immédiate, car nous pensons qu’il est essentiel d’aider les entreprises à détecter d’éventuels évènements futurs qui pourront provoquer leur faillite à plus ou moins long terme.
Et à la lecture des travaux du GIEC, nous savons par exemple qu’il est indispensable d’adapter une consommation d’eau ou d’énergie, de baisser les émissions de gaz à effet de serre et de renforcer les mesures de prévention. Les problématiques sur l’environnement sont davantage des questions de responsabilité civile, et il y a depuis une quinzaine d’années des polices spécifiques sur la RC Environnementale.
Cela concerne des phénomènes accidentels, comme une pollution suite à un incendie, ou graduels, comme une émission répétitive et diffuse d’une substance dans le sol. Le sujet de l’émission de gaz à effet de serre (GES), dont on parle tant, n’a rien à voir avec la pollution et donc la RC Environnementale. Les acteurs économiques sont tous contraints de réduire leurs émissions de GES car c’est un engagement des accords de Paris. Si elles ne le font pas, elles s’exposent à un risque réputationnel fort, nombre d’associations étant prêtes à attaquer sur ces sujets, et à un risque réglementaire à très court terme. Pour terminer sur ces deux points, les entreprises se situent au milieu d’un écosystème avec d’une part la nécessité de bien protéger leur activité contre les risques physiques du changement climatique – et ça permet de rassurer les investisseurs – et d’autre part de protéger leur réputation en démontrant qu’elles ont un effet neutre en tant qu’émetteur de GES – c’est la fameuse « neutralité carbone » qui implique des adaptations fortes. Et à l’heure du « Name & Shame », il est crucial qu’elles soient en capacité de le faire.
Comment pivoter d’une approche des risques à 12 mois vers une projection des risques des entreprises en 2030 ou 2050 ?
D’abord je pense – et je vais le dire avec humour – qu’il faut sortir du monde des assurances. 90 % de ce que nous proposons à nos clients concernent les 12 prochains mois, en particulier pour les risques de dommages. Je constate un vrai intérêt de nos partenaires à avoir des discussions qui sortent de l’assurance court-terme et à évoquer des horizons plus lointains. Une grande maison de Champagne, par exemple, sera parfaitement à même de parler de ses risques de sortir un vin différent en 2040 ou 2050. Le premier pivot, c’est d’oser !
Ensuite, chez AXA Climate, toute notre approche s’appuie sur la science. Nous avons recruté une équipe de scientifiques, à demeure, qui nous forment en continu, via des mini-conférences ou des ateliers réguliers. Ces scientifiques sont accessibles par nos partenaires pour répondre à leurs questions et expliquer les phénomènes. Enfin, nous avons une plateforme de 150 contenus vidéo, faisant chacun moins de 5 minutes, nous permettant de nous remettre à jour rapidement. Le deuxième pivot, c’est donc le sérieux scientifique et sa précision.
Nous avons décidé également d’être très transparents dans l’explication des modèles que nous utilisons. Nous voyons sur le marché de nombreux acheteurs d’assurances aveuglés par des outils de tarification dont le fonctionnement reste obscur. En ce qui nous concerne, quand nous réalisons une étude d’impact à 2030 ou 2050, nous livrons systématiquement la donnée brute avec notre rapport. Autre exemple : quand nous réalisons des offres d’assurances, nous partageons avec le courtier les cartes d’événements historiques et cette approche visuelle permet d’engager des conversations sur le moyen/long terme, car elles sont fondées sur une photographie précise des risques et de leurs possibilités d’évolution. Fort de la compréhension des enjeux, l’intermédiaire est armé pour mieux conseiller son client. Là encore, notre équipe de scientifiques est disponible pour donner les éclairages nécessaires.
Nous constatons chez nos interlocuteurs une forte demande d’explications, et les éléments tangibles que nous pouvons commenter valent mieux que de longues démonstrations. Cette pédagogie va permettre d’expliquer les mouvements de prix sur les garanties, voire ce que nous pouvons qualifier d’« horizon d’inassurabilité ». Ce nom barbare est en réalité la question que se posent tous les dirigeants : à partir de quand mon activité ne sera-t-elle plus assurable ? La réponse ne peut plus être « ne vous en faites pas, on y est toujours arrivé, on y arrivera encore ». D’ailleurs, dans le baromètre* réalisé par l’AMRAE en partenariat avec AXA Climate, 62 % des risk managers craignent que leurs activités ne soient plus assurables dans le futur.
Je vais illustrer avec l’inondation, car c’est une conséquence très significative du réchauffement climatique. Retenons qu’un degré de plus, c’est 7 % d’humidité en plus dans l’atmosphère. Il y a donc un effet direct sur les inondations en France, au point que Swiss Re estime la hausse des pertes assurées à 160 % d’ici à 2040 et que France Assureurs (ex-FFA) chiffre à 6,5 milliards d’euros l’effet du changement climatique sur le coût des inondations à horizon 2050. Prenons donc l’exemple d’un industriel situé proche d’un cours d’eau pour lequel le courtier a réussi à placer avec difficulté et aux tous derniers jours de l’année 2021, le contrat dommage. En faisant une projection en 2030, 2040 et 2050, on peut démontrer que le site ne sera, à terme, plus assurable parce que la période de retour du risque inondation s’est accélérée de manière dramatique dans sa zone. Ce partage d’informations permettra d’entamer une discussion plus sereine sur l’évolution du prix de son assurance.
Dans ces situations, le travail d’AXA Climate est aligné avec celui du courtier, et nous jouons un rôle de conseil pour aider l’entreprise à comprendre sa trajectoire. Pour l’instant, nous proposons des prestations principalement pour les grandes entreprises ou pour celles qui concentrent au moins 100 millions d’euros de valeurs assurables sur un seul site.
Définir le seuil d’assurabilité n’est pas une fin en soi. Il permet en réalité de raisonner en retroplanning : quelles sont les mesures à prendre pour rester sous le seuil d’assurabilité défini ? Comment et où investir ? Quelle est la part de risque que l’entreprise doit conserver ? Cette discussion ouvre au courtier l’opportunité d’enchainer avec des réflexions sur le financement de cette auto-assurance, par exemple avec une captive d’assurances ou de réassurance. Ultimement, cela peut conduire à prendre des mesures radicales, comme fermer un site et en ouvrir un autre dans une zone moins exposée.
Le dernier pivot est plus personnel : c’est l’ambition d’avoir de l’impact, d’avoir un métier qui a du sens. Quand je travaille avec des partenaires sur ces sujets, j’ai réellement le sentiment d’aller dans le sens du bien commun, de susciter des prises de conscience et d’apporter ma contribution à une problématique globale.
Quel rôle pour le courtier ?
J’ai été moi-même courtier pendant de nombreuses années et je retiens de cette expérience que le courtier est consulté pour des questions qui dépassent largement le besoin d’assurance. Pourtant, j’invite les courtiers à provoquer et à alimenter la discussion stratégique sur le climat. Ils sont aidés en cela par la réglementation européenne sur le reporting extra-financier, qui oblige les acteurs économiques à répondre à une double réflexion : quel est l’impact que l’entreprise a sur la nature, mais aussi quel est l’impact que la nature peut avoir sur les activités de l’entreprise ? Si le premier volet est peut-être mieux appréhendé car plus ancien, les dirigeants doivent aussi mesurer les risques climatiques que leur organisation peut subir.
Ce principe dit de « double matérialité » repris dans la loi Energie et Climat du 27 mai 2021 s’appliquera aux entreprises de plus de 250 collaborateurs dès 2022.
Ils sont aidés aussi par les nombreuses publications des assureurs ou réassureurs, tels que les baromètres des risques ou les études sur les risques climatiques. Un exemple : début janvier, la FFA a changé de nom pour devenir France Assureurs et a sorti sa toute première publication « Réussir la transition écologique et renforcer la résilience face aux risques climatiques ». Je vous mets au défi de trouver un client capable de vous répondre « ça ne me concerne pas, je vais passer entre les gouttes ».
Pour autant, je constate finalement que les courtiers capables d’approcher leurs clients directement sur ces sujets sont encore trop rares. Chez Axa Climate, nous avons compris qu’il y avait pour beaucoup un manque de capacités internes de modélisation et de capacité d’en expliquer les résultats. C’est pourquoi notre positionnement aux côtés des courtiers reste novateur, car il repose sur un partage des données sans contrepartie, la valeur ajoutée résidant d’après nous dans la capacité de participer aux discussions stratégiques des clients.
Dessiner une trajectoire d’adaptation pour les entreprises relève de l’intelligence collective et le courtier doit participer à ces échanges. Il connaît bien ses clients et leurs enjeux, et il est le plus à même de leur faire comprendre que le changement, aussi douloureux soit-il, doit être anticipé plutôt que subi.
En tant qu’assureur à impact, nous sommes convaincus de trouver chez les courtiers et les risk managers des interlocuteurs engagés, capables d’envisager des scenarii sérieux sans être catastrophistes. Dans le baromètre AMRAE déjà cité, il ressort que 70 % des risk managers veulent avoir des modélisations plus précises et 3 sur 4 se disent engagés sur les sujets climatiques. L’intérêt des courtiers est de faire progresser leurs clients, pour que leur portefeuille reste constitué d’entreprises tournées vers l’avenir, avec des modèles robustes.
* Baromètre AMRAE de l’engagement pour le Climat en partenariat avec Axa Climate – décembre 2021.
Cette interview est extraite de la dernière édition des « Nouvelles Revues du Courtage », le magazine de PLANETE CSCA.
Cet article est à retrouver dans son intégralité .
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